VFEnglish Version Julian Tugaut

Maître de Conférences HDR
Hors Classe
Université Jean Monnet

Quelques perspectives de recherche

  1. Diffusions non linéaires en dynamique de population

  2. Métastabilité des diffusions de McKean-Vlasov générales

  3. Compétition entre bruit commun et bruit idiosyncratique

  4. Diffusions non linéaires soumises à des contraintes diverses

  5. Autres perspectives

Diffusions non linéaires en dynamique de population

    Une de mes perspectives est d'utiliser les diffusions non linéaires en dynamique de population. Cette perspective comprend deux axes intimement liés : la compétition (ou la coopération) entre deux populations différentes chacune modélisée par un système de particules en interaction d'une part et la rupture d'alignement au sein d'une population d'animaux dont chacun des individus est représenté par une particule au sein d'un système de particules suivant le modèle de Cucker-Smale stochastique avec petit bruit additif.


    Je vais d'abord présenter le premier axe, celui qui correspond à l'étude de systèmes multi-agents comprenant plusieurs espèces. Pour ce faire, je me restreins ici au cas des couples de diffusions auto-stabilisantes : \[ \left\{\begin{array}{l} X_t=X_0+\sigma B_t-\int_0^t\nabla V_1\left(X_s\right){\rm d}s-\int_0^t\left[a\nabla F_{1,1}\ast\mu_s\left(X_s\right)+(1-a)\nabla F_{1,2}\ast\nu_s\left(X_s\right)\right]{\rm d}s\,,\\ Y_t=Y_0+\sigma \widetilde{B_t}-\int_0^t\nabla V_2\left(Y_s\right){\rm d}s-\int_0^t\left[a\nabla F_{2,1}\ast\mu_s\left(Y_s\right)+(1-a)\nabla F_{2,2}\ast\nu_s\left(Y_s\right)\right]{\rm d}s\,,\\ \mathbb{P}\left(X_t\in {\rm d}x\right)=\mu_t({\rm d}x)\,,\\ \mathbb{P}\left(Y_t\in {\rm d}x\right)=\nu_t({\rm d}x)\,. \end{array}\right. \] Ici, \(F_{1,1}\) et \(F_{2,2}\) correspondent aux potentiels d'interaction intra-espèces tandis que \(F_{1,2}\) et \(F_{2,1}\) correspondent aux potentiels d'interaction inter-espèces. Et, \(V_1\) ainsi que \(V_2\) sont les potentiels externes auxquels sont soumises chacune des deux populations. Quant à \(B\) et \(\widetilde{B}\), il s'agit de mouvements browniens indépendants. De plus, \(X_0\) et \(Y_0\) sont indépendants des deux processus de Wiener.

    De premiers résultats ont déjà obtenus en collaboration avec Hong Duong. Plus précisément, dans le cas de couples de diffusions auto-stabilisantes, nous avons établi l'existence des processus, une propagation du chaos via un couplage avec le système de particules associé ainsi que de premières hypothèses assurant la non-unicité des probabilités invariantes. Ce papier a été publié dans Stochastics. Hong Duong, Greg Pavliotis et moi-même sommes actuellement en train de généraliser au cas où il y a \(n\) espèces différentes et nous allons notamment caractériser complètement les probabilités invariantes ainsi qu'établir une convergence en temps long via des techniques d'entropie. Enfin, nous généraliserons les lois d'Arrhenius et de type Kramers que j'ai démontrées pour les diffusions de McKean-Vlasov (avec une unique espèce) au cadre multi-espèces. Une question moyen terme consiste à étudier le temps pour que deux groupes d'individus commencent à interagir si l'interaction inter-espèces est de faible portée. Ceci pourra être réalisé via les techniques que Jean-François Jabir et moi-même avons développées pour le problème de collision.


    Je présente désormais le second axe de cette perspective : l'étude du modèle de Cucker-Smale avec ajout d'un bruit gaussien additif. Le système de Cucker-Smale est le premier modèle mathématique qui a pu comprendre, dans sa version déterministe, l'agglomération dans les populations animales lorsque le nombre d'individus est élevé. Il s'agit d'un système cinétique où la vitesse dépend de la vitesse "moyenne" de l'ensemble des individus. L'équation est de la forme suivante : \[ \left\{\begin{array}{l} \frac{{\rm d}x_i}{{\rm d}t}=v_i\\ \frac{{\rm d}v_i}{{\rm d}t}=-\frac{1}{N}\sum_{j=1}^NH\left(\left|x_i-x_j\right|\right)\left(v_i-v_j\right)\,, \end{array}\right. \] où \(x_i\) dénote la position de l'individu \(i\) et \(v_i\) sa vitesse. Ici, \(H\) est appelé le taux de communication. Dans le modèle originel, il admet cette forme : \[ H(x)=\frac{K}{\left(\zeta^2+|x|^2\right)^\gamma}\,, \] \(K\), \(\zeta\) et \(\gamma\) étant des paramètres positifs. De façon naturelle, plus l'individu \(j\) est loin de l'individu \(i\), moins les deux individus interagissent.

    Notons que ce système ne contient pas d'aléa. Le système auquel on compte s'intéresser en est une version faiblement bruitée : \[ \left\{\begin{array}{l} {\rm d}x_i=v_i\,{\rm d}t\\ {\rm d}v_i=\sigma {\rm d}B_t^i-\frac{1}{N}\sum_{j=1}^NH\left(\left|x_i-x_j\right|\right)\left(v_i-v_j\right)\,{\rm d}t\,, \end{array}\right. \] où \(\sigma>0\) est constant et où les mouvements browniens \(B^i\) sont mutuellement indépendants.

    Le résultat principal qui nous intéresse est la rupture d'alignement à petit bruit. Plus précisément, dans le modèle non bruité, on sait que l'on a \[ \lim_{t\to+\infty}\sup_{i\neq j}|v_i-v_j|=0\,. \] Ainsi, nous avons l'intention de capter le premier temps où deux individus du modèle bruité ne seraient plus alignés. Plus précisément, nous comptons démontrer une loi de type Kramers pour ce temps de rupture d'alignement, lorsque le coefficient de diffusion tend vers \(0\). Ce travail que nous allons mener est soutenu par l'Université Jean Monnet via l'octroi d'une bourse de thèse, laquelle a été attribuée à un très bon candidat à savoir Hetranso AHNI. Principalement, cela consistera à étendre nos résultats sur le problème de collision dans un cadre Langevin et sans supposer l'indépendance des processus, ce qui sera un résultat saillant.

(Retourner au sommaire)

Métastabilité des diffusions de McKean-Vlasov générales

    La deuxième piste que je vois dans mes recherches concerne l'étude de la métastabilité à proprement parler pour les diffusions non linéaires. Jusqu'à présent, je suis parvenu à établir des résultats sur le temps de sortie, sur les probabilités invariantes et sur la convergence en temps long. Or, bien que ces problèmes soient intrinsèquement liés, on en sait peu sur leur utilisation conjointe. Par exemple, quand le coefficient de diffusion est constant et petit, quels sont les bassins d'attraction (problème de temps grand) et la vitesse de convergence vers les probabilités invariantes pour les diffusions de McKean-Vlasov ?

    Même dans le cas d'instance "simple" de telles diffusions, comme par exemple la diffusion auto-stabilisante, le problème n'est pas résolu pour peu que le potentiel de confinement ne soit pas uniformément convexe. Présentons ici le cas le plus simple : \[ {\rm d}X_t=\sigma{\rm d}B_t-\left(X_t^3-X_t\right){\rm d}t+\alpha\left(X_t-\mathbb{E}\left[X_t\right]\right){\rm d}t\,. \] Ici, le potentiel externe est \(V(x):=\frac{x^4}{4}-\frac{x^2}{2}\) et le potentiel d'interaction est \(F(x):=\frac{\alpha}{2}x^2\). Dans le cas où \(\alpha\) est suffisament grand (dans le cas du présent exemple, il suffit d'avoir \(\alpha\geq\frac{1}{4}\)), le résultat que j'ai publié dans Kinetic and Related Models stipule que si \(\mathcal{L}(X_0)\) est à support compact inclus dans \(]0;+\infty[\), alors pour \(\sigma\) assez petit, \(\mathcal{L}(X_t)\) converge vers l'unique probabilité invariante dont le premier moment est strictement positif.

    Si la loi de \(X_0\) ne satisfait pas cette propriété, on en sait très peu. Notamment, on observe que les états stables de la dynamique sans bruit sont réduits à \(\delta_{-1}\), \(\delta_0\) et \(\delta_1\) lorsque \(\alpha\geq1\), c'est-à-dire lorsque l'on suppose une hypothèse de synchronisqtion selon laquelle la convexité de \(F\) compense la non-convexité de \(V\) et pousse ainsi les différentes particules (ou trajectoires dans le cas présent) à se synchroniser et donc à prendre une valeur commune. Toutefois, pour peu que \(\alpha\) soit strictement plus petit que \(1\), alors d'autres états stables émergent. Ces états sont de la forme \(p\delta_{a_1(p)}+(1-p)\delta_{a_2(p)}\) où \(p\) appartient à un intervalle non réduit à un singleton (c'est-à-dire qu'il y a un continuum de tels états stables) et où \(a_1(p)\in]-1;0[\) ainsi que \(a_2(p)\in]0;1[\).

    Pourtant, pour presque tout \(p\) dans ce continuum (par rapport à la mesure de Lebesgue), en posant \(W_p(x):=V(x)+F\ast\left(p\delta_{a_1(p)}+(1-p)\delta_{a_2(p)}\right)(x)\), le potentiel \(W_p\) ne vérifie pas l'hypothèse \(W_p(a_1(p))=W_p(a_2(p))\). Or, les limites à petit bruit des probabilités invariantes sont toutes de la forme \(p\delta_{a_1(p)}+(1-p)\delta_{a_2(p)}\) avec \(W_p'(a_1(p))=W_p'(a_2(p))=0\) et \(W_p(a_1(p))=W_p(a_2(p))\). Il s'ensuit que les états précédents sont non stables mais bien métastables.

    Je conjecture que si la loi initiale est l'un de ces états métastables avec \(p\notin\left\{0;1;\frac{1}{2}\right\}\), alors si \(\Delta(p):=W_p(a_1(p))-W_p(a_2(p))\) est strictement positif, la limite à temps long (pour un petit coefficient de diffusion \(\sigma\)) est la probabilité invariante proche de \(\delta_1\). Et, plus généralement, si l'on considère l'équation des milieux granulaires (qui est une équation aux dérivées partielles non linéaire) : \[ \frac{\partial \mu_t^\sigma}{\partial t}=\frac{\sigma^2}{2}\Delta\mu_t^\sigma+{\rm div}\left\{\mu_t^\sigma\left(\nabla V+\nabla F\ast\mu_t^\sigma\right)\right\}\,, \] ainsi que sa version dépourvue de bruit \[ \frac{\partial \mu_t^0}{\partial t}={\rm div}\left\{\mu_t^0\left(\nabla V+\nabla F\ast\mu_t^0\right)\right\}\,, \] on peut établir que si \(\lim_{t\to+\infty}\mu_t^0=p\delta_{a_1(p)}+(1-p)\delta_{a_2(p)}\), la mesure limite à temps long de \(\mu_t^\sigma\) est la probabilité invariante proche de \(\delta_1\) dès que \(\Delta(p)>0\). En particulier : \[ \delta_1=\lim_{\sigma\to0}\lim_{t\to+\infty}\mu_t^\sigma\neq\lim_{t\to+\infty}\lim_{\sigma\to0}\mu_t^\sigma=p\delta_{a_1(p)}+(1-p)\delta_{a_2(p)}\,. \] Pour prouver cette conjecture, j'envisage une approche simple : le contrôle de la loi via les temps de sortie c'est-à-dire la métastabilité. Dit autrement, je vais m'intéresser à \(\mu_{t(\sigma)}^\sigma=\mathcal{L}(X_{t(\sigma)}^\sigma)\) où le temps \(t(\sigma)\) est suivant une échelle caractéristique de la métastabilité du processus. Ainsi, j'obtiendrai conjointement les bassins d'attraction et la vitesse de convergence de la diffusion auto-stabilisante dans un cas simple. Les cas plus généraux où \(V\) n'est pas aussi simple suivront. Des cas où l'interaction n'est pas nécessairement linéaire suivront aussi. Enfin, je m'intéresserai aussi au cas non gradient.

    Plus généralement, je démontrerai des résultats similaires sur le temps long (quand on est dans le régime petit bruit) de diffusions de McKean-Vlasov générales de la forme \[ {\rm d}X_t^\sigma=b\left(X_t^\sigma,\mu_t^\sigma\right){\rm d}t+\sigma c\left(X_t^\sigma,\mu_t^\sigma\right){\rm d}B_t\,, \] où la dérive \(b\) et la fonction de diffusion \(c\) sont suffisamment réguliers pour que l'équation admette une unique solution forte sur \(\mathbb{R}_+\) pour tout \(\sigma>0\). Par exemple, on suppose que \(b\) comme \(c\) sont \({\rm L}-\)dérivables. Par ailleurs, je traiterai aussi le cas de diffusions de la forme \[ {\rm d}X_t^\sigma=b\left(X_t^\sigma,\frac{1}{t}\int_0^t\mu_s^\sigma{\rm d}s\right){\rm d}t+\sigma c\left(X_t^\sigma,\frac{1}{t}\int_0^t\mu_s^\sigma{\rm d}s\right){\rm d}B_t\,. \] De tels résultats auront notamment un impact en apprentissage machine, en jeux à champ moyen et en dynamique moléculaire.

    Pour les établir, la stratégie sera de mettre en œuvre mes techniques sur les premiers temps de sortie. En particulier, je démontrerai des résultats de type Kramers, j'en dériverai une loi d'Arrhenius et je prouverai un caractère exponentiel des temps de sortie (ce que l'on doit à Day dans le cas des diffusions linéaires et homogènes). Puis, il sera possible de déterminer avec précision \(\lim_{\sigma\to0}\mu_{t(\sigma)}^\sigma\) où \(t(\sigma):=\exp\left[\frac{2H}{\sigma^2}\right]\), pour tout \(H>0\). Par exemple, il n'est pas difficile d'imaginer que si \(\lim_{t\to+\infty}\mu_t^0=p\delta_{a_1(p)}+(1-p)\delta_{a_2(p)}\) alors le temps de convergence caractéristique vers la probabilité invariante limite sera \(t(\sigma)\) où \(H:=H_0(p)\) correspondra au minimum entre le coût de sortie de l'attracteur \(a_1(p)\) et celui de \(a_2(p)\).

(Retourner au sommaire)

Compétition entre bruit commun et bruit idiosyncratique

    Les modèles de McKean-Vlasov classiques, c'est-à-dire ceux que j'ai déjà présentés précédemment sur cette page et sur celle des résultats que j'ai obtenus (voir ici), souffrent d'un défaut inhérent à la conception de leur modèle. Une diffusion de McKean-Vlasov classique peut être vue comme l'interprétation de la limite champ moyen de systèmes de particules en interaction de la forme : \[ {\rm d}X_t^{i,N}=b\left(X_t^{i,N},\frac{1}{N}\sum_{j=1}^N\delta_{X_t^{j,N}}\right){\rm d}t+c\left(X_t^{i,N},\frac{1}{N}\sum_{j=1}^N\delta_{X_t^{j,N}}\right){\rm d}B_t^i\,, \] pour tout \(i\in[\![1;N]\!]\), le nombre \(N\) de particules ayant vocation à être grand et où \(b\) comme \(c\) satisfont de bonnes propriétés notamment quant à leur \({\rm L}-\)dérivabilité. On note que \(\left(B^i\right)_{i\in\mathbb{N}^*}\) est une famille de mouvements browniens indépendants. Un résultat de propagation du chaos classique amène la diffusion qui satisfait l'équation de McKean-Vlasov \[ {\rm d}X_t^{1,\infty}=b\left(X_t^{1,\infty},\mathcal{L}\left(X_t^{1,\infty}\right)\right){\rm d}t+c\left(X_t^{1,\infty},\mathcal{L}\left(X_t^{1,\infty}\right)\right){\rm d}B_t^1 \] à être une bonne approximation de la diffusion \(X^{1,N}\) quand \(N\) est grand. Plus précisément, on peut écrire \[ \lim_{N\to+\infty}\mathbb{E}\left[\sup_{t\in[0;T]}\left|X_t^{1,\infty}-X_t^{1,N}\right|^2\right]=0\,, \] pour tout \(T>0\). Néanmoins, l'hypothèse qui a précédemment été utilisée à savoir que le bruit gaussien qui affecte la particule numéro \(i\) est indépendant de celui qui affecte la particule numéro \(j\) si \(i\neq j\) est physiquement peu acceptable. En effet, il est difficile de croire que la cause du bruit idiosyncratique \(B^i\) ne génère aucune perturbation, aucun effet sur la particule \(j\).

    C'est pourquoi un modèle plus réaliste, ayant plus de sens physique et donc étant meilleur a été introduit. Il s'agit du modèle incorporant un bruit commun. L'équation qui régit la particule numéro \(i\) est alors la suivante : \[ {\rm d}X_t^{i,N}=b\left(X_t^{i,N},\frac{1}{N}\sum_{j=1}^N\delta_{X_t^{j,N}}\right){\rm d}t+c\left(X_t^{i,N},\frac{1}{N}\sum_{j=1}^N\delta_{X_t^{j,N}}\right){\rm d}B_t^i+f\left(X_t^{i,N},\frac{1}{N}\sum_{j=1}^N\delta_{X_t^{j,N}}\right){\rm d}W_t\,, \] où \(W\) est un processus de Wiener indépendant de tous les bruits idiosyncratiques. Par ailleurs, \(f\) satisfait des bonnes hypothèses pour que l'équation en dimension \(dN\) soit bien posée.

    Naturellement, le phénomène de propagation du chaos se comporte différemment dans ce cas. En particulier, les bruits idiosyncratiques se "compensent" toujours mais le bruit commun étant commun, la limite en loi de la mesure empirique \(\frac{1}{N}\sum_{j=1}^N\delta_{X_t^{j,N}}\) n'est pas déterministe. Il s'agira d'ailleurs de la loi conditionnelle de \(X_t^{1,\infty}\) par rapport à la tribu \(\sigma\left\{W_s\,\,:\,\,0\leq s\leq t\right\}\). De fait, l'introduction du bruit commun change complètement le paradigme puisque l'on aboutit naturellement à une équation aux dérivées partielles stochastique. La littérature sur ce sujet est extrêmement riche. En effet, les applications en jeux à champ moyen sont des plus conséquentes ; de par leur réalisme même. De fait, on peut retrouver ces modèles en économie, en finances...

    Ce qui m'intéresse dans ces modèles est la compréhension de l'influence de chacun des bruits, dans le régime à faibles perturbations. Dit autrement, quels sont les phénomènes observables qui sont dûs au bruit commun ? Quels sont ceux dûs aux bruits idiosyncratiques ? L'angle d'attaque original pour lequel Paul-Eric Chaudru de Raynal et moi-même optons est celui des grandes déviations. Qui fait quoi quand on perturbe peu ? Pour répondre à cette question, nous établissons des principes de grandes déviations sur le système de particules, sur l'équation de McKean-Vlasov, nous prouvons la limite quand \(N\) tend vers l'infini de la bonne fonction de taux \(\mathcal{I}^N\) qui régit les comportements typiques de la première particule vers la bonne fonction de taux \(\mathcal{I}^\infty\) qui régit ceux de la diffusion de McKean-Vlasov.

    Par ailleurs, nous obtiendrons des résultats sur les asymptotiques des premiers temps de sortie et des premiers temps de collision. Notons que certains premiers résultats encourageants dans un cas relativement simple nous permettent d'assister à une scission des comportements c'est-à-dire que l'on peut précisément voir la coopération ou la compétition entre bruit commun et bruit idiosyncratique dans le régime faiblement perturbé. Il convient de noter que dans le cas simple, le lieu de sortie dépend de la relation entre le bruit idiosyncratique et le bruit commun. De plus, l'obtention du temps de sortie dérive du travail effectué par Jean-François Jabir et moi-même sur le temps de collision. Ceci suggère très fortement que l'on puisse faire de même dans des cas plus généraux qui ne sont pas de type Ornstein-Uhlenbeck.

(Retourner au sommaire)

Diffusions non linéaires soumises à des contraintes diverses

    La piste de recherche que j'esquisse ici est protéiforme. En effet, il s'agit ici tantôt d'ajouter une réflexion au bord d'un domaine compact ou non, convexe ou non, de considérer des réflexions de différents types (normale, oblique, etc), d'ajouter des contraintes comme la positivité de \(\mathbb{E}[h(X_t)]\) où \(h\) est un potentiel sur \(\mathbb{R}^d\), d'ajouter des sauts qui changent les différents champs de vecteurs mais aussi des perturbations temporelles, ce qui peut notamment modéliser la charge de la cathode dans une batterie de lithium.


    Pour commencer, j'ai déjà obtenu des premiers résultats sur le cas de diffusions non linéaires réfléchies, publiés dans Stochastic Processes and their Applications en collaboration avec Daniel Adams, Gonçalo dos Reis, Romain Ravaille et William Salkeld. Nous avions supposé que l'espace des phases était convexe. Cette hypothèse peut facilement être remplacée par la stabilité par le champs de vecteurs du domaine en question. Comme extension, je souhaite regarder des domaines très généraux qui violent éventuellement cette hypothèse de stabilité.

    Établir le caractère bien posé, le comportement en temps long ou même une propagation du chaos dans le cas de systèmes de particules réfléchis n'est pas une tâche ardue. Néanmoins, l'obtention de principes de grandes déviations est un véritable défi. En effet, considérons l'équation suivante : \[ {\rm d}X_t=b(X_t){\rm d}t+\sigma{\rm d}W_t-{\rm d}k_t\,, \] où \(b\) est un champ de vecteurs, \(W\) un processus de Wiener dans \(\mathbb{R}^d\) et \(k\) le processus à variations bornées qui modélise la réflexion au bord d'une domaine \(\mathcal{D}\). Si le domaine \(\mathcal{D}\) était stable par le champs de vecteurs, il serait assez simple d'établir des principes de grandes déviations : tout se passe comme si la réflexion n'ajoutait pas la moindre difficulté. Néanmoins, dès que la réflexion entre en conflit avec la bonne fonction de taux attendue, on ne sait - à ma connaissance - absolument rien. Il convient donc de refaire la théorie de Freidlin et Wentzell en incorporant la réflexion en son sein.

    Par ailleurs, prouver une loi d'Arrhenius, une loi de type Kramers ou des résultats de type Day (comportement exponentiel du premier temps de sortie à petit bruit) n'est pas évident même quand le domaine \(\mathcal{D}\) est stable par \(b\). Dans tous les cas, il s'agit là d'un vrai défi et ce d'autant plus pour peu que l'on considère des systèmes de particules en interaction ou des diffusions non linéaires au sens de McKean. De plus, il existe plusieurs types de réflexions. Par exemple, dans le cas de la réflexion oblique, le comportement est encore moins classique. Et pourtant...

    La réflexion oblique est naturelle pour les systèmes de particules dès lors que l'on ajoute une contrainte de la forme suivante à une diffusion \(X\) : \[ \mathbb{E}\left[h(X_t)\right]\geq0\,. \] Ici, \(h\) est un potentiel de \(\mathbb{R}^d\). Ce genre de contrainte est issue de la limite champ moyen d'un système de particules en interaction avec réflexion oblique. Elle a notamment été étudiée par Paul-Eric Chaudru de Raynal, Arnaud Guillin...

    L'équation régissant la proportion d'atomes de lithium dans la cathode d'une batterie de lithium est la suivante : \[ {\rm d}X_t=\sigma {\rm d}B_t-V'\left(X_t\right){\rm d}t+\mathbb{E}\left[V'\left(X_t\right)\right]{\rm d}t+\dot{q}(t){\rm d}t\,, \] où \(q\) est la charge de la batterie. Typiquement, on s'intéresse à une charge lente, de la forme \(\dot{q}(t)=\exp\left\{-\frac{2\mu}{\sigma^2}\right\}\). On peut d'ailleurs généraliser avec une charge de type \(\dot{q}_\sigma(t)\) telle que \(\int_0^{\exp\left(\frac{2\mu}{\sigma^2}\right)}\dot{q}_\sigma(t){\rm d}t=1\). Ici, \(\mu\) est une constante. On notera que ce système n'est jamais en équilibre puisque, même dans le premier cas de la charge constante, l'on a \(\mathbb{E}\left[X_t\right]=q(t)=t\exp\left\{-\frac{2\mu}{\sigma^2}\right\}\).

    L'interprétation en terme de système de particules est comme suit : \[ {\rm d}X_t^i=-V'\left(X_t^i\right){\rm d}t+\frac{1}{N}\sum_{j=1}^NV'\left(X_t^j\right){\rm d}t+\sigma {\rm d}B_t^i-\frac{\sigma}{N}\sum_{j=1}^N{\rm d}B_t^j\,. \]     On peut alors remarquer que l'on a \(\frac{1}{N}\sum_{j=1}^NX_t^j=q(t)\) pour tout \(t\) et pour tout \(N\). Notons que pour coller au vrai modèle, il faudrait ajouter une réflexion aux bords de \([0;1]\) (une réflexion qui affecterait chaque particule en fait).

    Un autre type de contraintes à laquelle je m'intéresse est celle où les régimes varient eux-mêmes en fonction du temps. La philosophie de ce genre de modèle est la suivante : \[ {\rm d}X_t=b_{I_t}(X_t,\mu_t){\rm d}t+\sigma_{I_t}\left(X_t,\mu_t\right){\rm d}W_t\,, \] où \(\mu_t:=\mathcal{L}(X_t)\). Ici, \(\left(I_t\right)_{t\geq0}\) est un processus à sauts à valeurs dans \([\![1;q]\!]\) et elle définit le régime dans lequel se trouve la diffusion. On a ainsi \(q\) champs de vecteurs \(b_1,\cdots,b_q\) et \(q\) coefficients de diffusions \(\sigma_1,\cdots,\sigma_q\). On suppose que le générateur du processus \(I\) dépend de la position de \(X\) au temps \(t\) mais aussi de sa loi de probabilité \(\mu_t\).


    Dans certains des cas présentés dans ce paragraphe, le caractère bien posé peut poser problème en tant que tel. De fait, avant toute chose, il faudra prouver que les équations, hautement non linéaires pour certaines, admettent bien une unique solution forte sur \(\mathbb{R}_+\). Puis, les résultats de propagation du chaos (quantitative ou non, uniforme en temps ou non) seront à retrouver notamment si l'on se donne des mélanges de telles contraintes. Enfin, dans un second temps, je retrouverai les résultats désormais classiques sur les probabilités invariantes et leur non-unicité. Par la suite, j'établirai la convergence en temps long de telles diffusions.

    La dernière étape, la plus cruciale est liée aux perspectives précédentes : il s'agit de trouver les asymptotiques à petit bruit des premiers temps de sortie afin d'en déduire la vitesse de convergence des solutions aux équations aux dérivées partielles associées ainsi que de caractériser les bassins d'attraction des différents états stables.

(Retourner au sommaire)

Autres perspectives

    Une perspective de recherche qui m'intéresse est l'application réelle de mes résultats. Pour ce faire, il convient de signaler que dans les sciences en général (que ce soit en dynamique moléculaire, en éconophysique, en biologie, en apprentissage machine...), les simulations numériques sont essentielles. De fait, ce ne sont pas des processus de diffusion qu'il faut considérer mais bien leurs schémas numériques à savoir des marches aléatoires. De plus, la façon dont on approxime les diffusions doit être pensée de telle sorte que l'outil numérique puisse effectivement simuler en un temps raisonnable. En particulier, je compte m'intéresser à la méthode d'Euler-Maruyama pour les diffusions linéaires, les diffusions non linéaires au sens de McKean, les diffusions auto-interagissantes mais aussi pour les systèmes de particules en interaction de type champ moyen. Plus précisément, je m'intéresse au temps que mettent les différents processus pour sortir d'un domaine donné. Ceci nécessitera de s'appuyer sur la théorie de Freidlin-Wentzell. Je vois deux angles d'attaque : passer par un couplage assorti d'un contrôle des lois pour montrer que le temps de sortie satisfait une loi d'Arrhenius ou de type Kramers de même type que la diffusion associée ; ou au contraire, attaquer directement le temps de sortie en reprenant la théorie de Freidlin et Wentzell dès ses fondements.


    Par ailleurs, dans la continuité de cette perspective, il est important de souligner que tous les résultats à petit bruit sur le premier temps de sortie d'un domaine donné sont asymptotiques. Qu'il s'agisse de la loi d'Arrhenius, de la loi de type Kramers, de la loi de Kramers elle-même, tout se passe dans le régime où \(\sigma\longrightarrow0\). On en sait ainsi assez peu sur le coefficient de diffusion critique en-deça duquel nos résultats s'appliquent. Néanmoins, à nouveau, en vue de l'application pratique des divers résultats, il faudra que les estimations soient non-asymptotiques. Ce caractère non-asymptotique requiert selon moi l'utilisation de la théorie d'Onsager-Machlup dont l'extension aux diffusions non-linéaires est un sujet d'intérêt pour moi. Mieux, je souhaite établir des résultats de cette nature pour les schémas numériques associés : il sera alors nécessaire de contrôler le temps de sortie en fonction de \(\sigma\) (le coefficient de diffusion), de \(h\) (le pas de discrétisation en temps), de \(\delta\) (le pas de discrétisation en espace) et de \(d\) (la dimension de l'espace dans lequel vit le processus).


    Une troisième piste de recherche qui s'applique dans le monde concret est l'étude des noyaux explosifs. Qu'il s'agisse d'un noyau de type Keller-Segel en chimiotaxie, Navier-Stokes en mécanique des fluides ou Biot-Savart en électrostatique, dans le monde physique, les forces d'interaction en présence sont généralement explosives c'est-à-dire que deux particules ne peuvent occuper la même position au même moment. Gérer de tels noyaux n'est pas aisé puisqu'avec un nombre gigantesque de particules, les collisions n'ont aucune raison de ne pas se produire. De fait, de telles diffusions non linéaires satisfont des équations qui sont par essence mal posées. Il faut alors gérer les éventuelles collisions. Une idée, qui me semble la plus naturelle, consiste à ajouter un seuil que la force d'interaction ne peut dépasser. Avec un tel cut-off, il est alors possible de prouver l'existence d'une unique solution forte à l'équation seuillée, de prouver l'existence d'une probabilité invariante, de caractériser l'ensemble des états stationnaires, d'établir la convergence en temps long puis d'obtenir des asymptotiques à petit bruit du premier temps de sortie et du premier temps de collision. Il convient de noter qu'il faudra aussi bien le faire dans un cas Markov que dans un cas de type auto-interagissant puisque par exemple, l'équation de Keller-Segel de type parabolique-parabolique est la limite d'un système de particules en interaction de type champ moyen avec un terme auto-interagissant. L'équation aux dérivées partielles associée est alors la suivante : \[ \left\{\begin{array}{l} \frac{\partial}{\partial t}\rho(t,x)={\rm div}\left\{\frac{\sigma^2}{2}\nabla\rho(t,x)-\chi\rho(t,x)\nabla c(t,x)\right\}\,,\\ \frac{\partial}{\partial t}c(t,x)=\frac{\nu^2}{2}\Delta c(t,x)-\lambda c(t,x)+\rho(t,x)\,, \end{array}\right. \] où \(\chi\) est le coefficient de transmission et \(\lambda\) correspond à une force de rappel. \(\sigma\) et \(\nu\) sont les coefficients de diffusion. Ici, \(\rho\) correspond à la densité de probabilité de l'espèce biologique tandis que \(c\) correspond à la concentration du composant chimique. Je m'intéresse, dans le cadre d'un programme Hubert Curien (Sakura, c'est-à-dire avec le Japon) au phénomène d'explosion dans les deux modèles de Keller-Segel (parabolique-elliptique et parabolique-parabolique). L'équipe française adopte un point de vue probabiliste tandis que l'équipe japonaise adopte un point de vue EDPiste. Plus précisément, on souhaite faire émerger le phénomène d'explosion directement à partir du système de particules associé à la diffusion de Keller-Segel, laquelle est l'interprétation probabiliste du système d'équations aux dérivées partielles. Également, nous avons l'intention de comprendre ce qu'il advient après l'explosion.


    Une quatrième piste que je compte accomplir dans mes travaux est l'étude d'un modèle utilisé en biologie pour expliquer le phénomène de conduction neuronale. En novembre 2021, j'ai eu l'honneur et le plaisir d'aller à Oslo suite à la sélection de mon projet Åsgard. J'y ai rencontré David Ruiz Baños (Assistant Professor) et un sujet a émergé de nos discussions : l'application de diffusions de McKean-Vlasov (de type Delarue, Inglis, Rubenthaler et Tanré ou plus communément appelé « integrate-and-fire model ») à la finance avec de plus un bruit commun et une volatilité stochastique. La grande différence entre ce modèle et la diffusion auto-stabilisante classique est que la loi intervient dans la dérive de l'équation différentielle stochastique à travers des temps de sortie de la diffusion, ce qui rend l'étude de telles équations beaucoup plus ardues à mener. Dans le contexte de la finance, la dérive à laquelle la volatilité (elle-même stochastique) est soumise tend à augmenter quand un actif tombe à zéro (ce qui explique naturellement d'où viennent les différents temps de sortie). Au contraire, les autres actifs voient leur dérives diminuer. Nous souhaitons démontrer un phénomène de propagation du chaos dans ce modèle lorsque le nombre d'actifs tend vers l'infini. Également, nous comptons ensuite étudier précisément le modèle non linéaire qui en découle.

(Retourner au sommaire)